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« Le Chêne rose »

Roman

(1960-1963)

 Époque 2 de la saga

« La vie nous revient de l'aurore »

 

 

 

 

Le Chêne rose peut se lire comme la suite du roman inaugural de la saga LA VIE NOUS REVIENT DE L'AURORE, mais aussi de façon indépendante.

Si vous avez lu L'ennemi qui m'aimait, vous retrouverez les  personnages que vous avez aimés dans ce premier roman.

Si vous ne l'avez pas lu, vous découvrirez cet univers, où chaque roman se suffit également à lui-même.

 

Second opus de la suite romanesque d'Ed Nouce,  centré sur le personnage attachant et spirituel d’Horace Smoke-Finch.  Le roman met aussi en scène sa famille de substitution, les Kuhn au grand complet, avec Markus, Wilhelm et Téri jeunes adolescents (1960-1963).
À la frontière du polar et du roman psychologique, ce récit nous mène également dans les arcanes de la justice jusqu’à un procès d’assises.
 
Début des années soixante. Trois années charnières de la vie d’un homme qui s’éprouve encore jeune, tout en guettant la vieillesse approchante. Aristo britannique qui vote travailliste, homosexuel à une époque où c’est encore un crime aux yeux de la loi insulaire, Horace jongle entre ses fonctions de directeur adjoint du Military Intelligence et sa recherche effrénée du plaisir auprès de partenaires toujours différents. Sa rencontre avec Quico, prostitué vulgaire, inculte, intéressé mais attachant, ébranle son cynisme amoureux.
Depuis la guerre, un improbable couple d’amis belgo-allemand et leurs trois enfants constituent sa famille de cœur. Poète, volontaire et non-conformiste, elle l’appelle son « jumeau », tandis qu’Horace la considère plutôt comme sa fille symbolique. Et pour le glacial mari à l’austère beauté, ancien colonel de l’Abwehr reconverti en vigneron, il éprouve une attirance aussi intense que non partagée.
Un témoignage neuf sur un meurtre vieux de quinze ans ; des agressions contre l’amant ; les interrogations du jeune filleul sur son origine : un passé sombre et têtu ressurgit...
 
 
Extraits du roman :

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Le salon Chippendale tendance néogothique, qu’il n’apprécie pas outre mesure.

Aux murs, quelques tristes portraits d’ancêtres. À moins que les ancêtres eux-mêmes n’aient été tristes. Et une marine du début du siècle dernier, sans intérêt.

Lady Smoke-Finch trône sur le même fauteuil d’acajou à l’assise de cuir noir que lors des interrogatoires vespéraux de jadis.

Vieille dame altière, qui croyez devoir feindre de l’affliction. Comme si nous ne le savions point tous deux : votre chagrin est tout au plus causé par un changement imminent dans vos habitudes !

Avez-vous un jour aimé, vibré ?

Étrangère, qui êtes ma mère et dont j’ignore tout. Ou presque. Sauf votre image irritante de bigote exemplaire.

— Maman…

— Je m’en retourne auprès de votre père, puisque vous avez fini de le fatiguer.

— Il va mourir, maman. C’est vous qui le fatiguez avec vos prières. Laissez-le tranquille. Et n’allumez plus ces lugubres cierges. C’est son souhait exprès.

D’ailleurs le médecin ne tardera pas.

— Vous osez me critiquer et me commander ?

— Je ne vous critique pas. Je constate et je transmets.

— Vous avez toujours été un enfant particulièrement ingrat.

— Et aujourd’hui, je suis un homme de soixante-deux ans, lucide et cassant, c’est ainsi. Le temps passe.

— Vous devriez avoir honte de votre indifférence vis-à-vis de votre propre mère.

​

Qui suis-je, pour la juger ? Elle a fait ce qu’elle a pu. Elle n’aimait pas son mari. Elle ne m’aimait pas.

Elle m’a donné la vie, et je ne sache pas qu’elle ait jamais levé la main sur moi, pas plus que mon père.

Je suis un privilégié qui se plaint encore.

Se rend-elle compte de ce qu’elle dit ? Non, sans doute. Tellement repliée sur ses bigoteries. Elle fuit. Je devrais la plaindre, non m’exaspérer. Elle souffre à sa façon.

— Lady Smoke-Finch, Sir Horace, voici Monsieur le docteur.

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... /...

​

Étendu dans le noir les yeux ouverts.

Ce qu’il a vu lui revient sans cesse.

Il n’aurait pas dû voir. Cela ne le concernait pas.

L’image est têtue. Il a beau la repousser de tout son amour de la liberté et du respect de la vie privée, elle resurgit, rebelle, méchante et mauvaise.

Pourquoi a-t-il eu soif, à l’heure où d’ordinaire il dort comme un loir, et surtout pourquoi vouloir chercher un verre d’eau en bas, à la cuisine, au lieu de se servir au lavabo de la salle de bains ?

Il a quitté sa chambre, il est passé devant celle de Téri dont la porte était béante et qu’il a refermée avec soin.

Il est descendu sans bruit pour ne pas réveiller les autres et sans allumer dans le corridor. Il connaît mal les interrupteurs dans cette maison de location.

Le salon était ouvert, il n’a pu éviter de les surprendre.

Maman avec oncle Horace, dans un des deux fauteuils noirs.

Wilhelm n’a pas été à la cuisine, il est remonté tout de suite et a redoublé de précaution.

Oubliée, la soif.

Ça ne le regarde pas, ce que font maman et oncle Horace. D’ailleurs, ça ne regarde personne.

Oncle Horace, ce n’est pas un véritable oncle. C’est un ami. Un ami intime. Aussi loin que portent les souvenirs de Wilhelm, il a toujours connu ce « faux oncle ».

Le parrain de Markus, et que les trois enfants adorent.

Un ami intime de maman.

Que papa n’affectionne pas, c’est certain.

Il ne s’adresse à lui que par « Smoke-Finch ». C’est un signe. Et il est trop courtois avec oncle Ho : ça également, c’est révélateur. Il est vrai que papa aime moins encore oncle Axel, l’oncle par le sang, le frère de maman. Mais là, c’est réciproque, oncle Axel déteste papa et échoue à le cacher.

Par contre, Wilhelm jurerait qu’oncle Horace apprécie beaucoup papa, ce qui n’est pas courant. Papa n’inspire pas la sympathie. Presque tout le monde le craint et le respecte, mais rares sont ceux qui éprouvent de l’amitié pour lui.

Wilhelm lui-même respecte son père, ne le craint pas et, il faut être honnête, ne lui est pas spécialement attaché.

Par chance, ce n’est pas Markus qui a vu. Il se mettrait dans tous ses états.

Ou papa.

Dieu sait quelle aurait été la réaction de papa !

Ou Téri, qui se serait empressée de raconter.

Ou même Outch. Ou Sabine.

À y repenser, c’est une chance que ce soit lui, Wilhelm, qui se retrouve confronté à cette épreuve.

Il est l’enfant du milieu. In medio virtus, se répète-t-il à nouveau.

Il a reçu le nom de baptême de l’amiral Canaris pour qui papa travaillait pendant la guerre. Et dont maman salue la mémoire, quoiqu’il fût un ennemi, puisque c’est elle qui a choisi Wilhelm. Canaris a comploté contre Hitler et finit pendu par les nazis.

Bien sûr, c’est aussi pour plaire à papa que maman a proposé Wilhelm. Et son second prénom, c’est Charles-Maurice, comme Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, le prince des diplomates. Ce n’est pas pour rien qu’il porte ces deux prénoms-là. Il faut qu’il s’en imprègne.

Savoir garder un secret, comme Canaris et Talleyrand. Dans les renseignements, c’est primordial. Et un diplomate, ça tient sa langue.

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... /...

​

— Alors, mon petit chou, le livre te plaît ? — Jamais je n’aurais eu l’idée saugrenue de lui offrir un tel bouquin si Hélène ne me l’avait conseillé. Les grands mathématiciens, de Zénon à Cantor ! Il faut se le farcir, Manfred !

Et en plus, ce n’est pas du tout écrit pour les enfants !

— Sapristi, oncle Ho, je l’adore ! Je n’ai pas encore lu beaucoup, depuis hier soir, mais il est fantastique ! Quand je ne comprends pas un mot difficile, je consulte le dictionnaire ou je demande à mes frères. S’ils ne savaient pas non plus, je vous interrogerais vous, ou maman, ou papa.

Voudriez-vous le feuilleter avec moi, ce serait si gentil ?

— Oui, mon petit chou. Tant que tu ne me questionnes pas sur les mathématiques. Ce n’est pas ma tasse de thé.

— Votre tasse de thé ? Non, oncle Ho, vous buvez du thé Earl Grey, celui qui sent bon comme le parfum de papa !

Sans se soucier des rires de sa femme et de leur hôte, Manfred fixe sa fille.

— C’est une expression, Iekaterina, à entendre au figuré, non au pied de la lettre. Smoke-Finch formule ainsi qu’il n’apprécie pas spécialement les mathématiques. Et j’utilise de l’after-shave, ce qui signifie après rasage, et contient effectivement du parfum.

— Oh ! Merci, papa. —  Regardez, oncle Ho, comme votre livre est bien fait. Pourquoi est-ce qu’il y a si peu de femmes dedans ?

— Il y a moins de femmes que d’hommes parmi les mathématiciens, mon petit chou, mais avec des têtes telles que la tienne, dans l’avenir, cela risque de changer !

Connais-tu Émilie du Châtelet ?

— Non, oncle Ho. C’est une grande mathématicienne ?

— Oui, Téri. Cherche à la table des matières, elle s’y trouve sûrement.

— Vous avez raison ! Chic ! Elle y est ! 1706-1749…

— Une belle femme. C’était l’amie de Voltaire et elle a traduit Newton, entre autres. Newton est un illustre savant et mathématicien, anglais comme moi, Téri.

— Chouette ! D’autres mathématiciennes célèbres, s’il vous plaît, oncle Ho ?

— Well, Téri, tu me poses une colle. —  Manfred, Hélène, aidez-moi. Votre jeune prodige m’a pris en défaut !

— Emmy Nœther. Une compatriote, Iekaterina. Morte en 1935, si je ne me trompe. Elle découvre un résultat de physique théorique qui sera loué par Einstein. Il la tenait d’ailleurs pour un génie mathématique très créatif.

Tu n’ignores pas qui est Einstein, n’est-ce pas ?

— Non, papa, c’est un immense savant !

— Moi, je pense à Sophie Germain, Téri. Française, comme Émilie du Châtelet. Elle a vécu à cheval sur les dix-huitième et dix-neuvième siècles.

— Et est-ce qu’elle vivait à cheval tout le temps, maman ?

Cette fois, Manfred lui-même esquisse ce qui peut passer pour un sourire tandis que les deux autres adultes pouffent.

— À cheval sur deux siècles, Iekaterina, cela signifie qu’elle vécut en partie dans l’un et en partie dans l’autre.

— Merci, papa. Une chance que tu sois là : oncle Ho et maman rient sans arrêt au lieu d’expliquer !

​

Hélène a retrouvé son sérieux, non sans peine.

— Sophie Germain usait souvent du pseudonyme de Monsieur Le Blanc

— Pourquoi « Monsieur », maman ? Quelle idée !

— On considérait les femmes comme des sous-hommes, Téri. Je t’ai parlé de cela, n’est-ce pas.

Encore aujourd’hui, nous devons nous battre pour obtenir l’égalité avec les hommes.

— Sapristi, maman, j’espère que je ne devrais pas me battre, moi aussi ! Je ne suis pas très forte.

— Rassure-toi, mon petit chou, tu n’auras pas à te servir de tes poings.

Ton intelligence et ton caractère suffiront.

— Alors, oncle Ho, se battre, c’était aussi au figuré !

Ainsi que papa l’a expliqué pour la tasse de thé et le cheval.

— Tu as tout compris.

Voilà Markus et Wilhelm. — En forme, jeunes gens ?

— Extra, oncle Ho !

Vous venez avec nous à l’estacade ?

— Bien sûr, chaps. — On y va, Téri ? On reprendra cette savante discussion une autre fois.

— Oui, oncle Ho : j’adore discuter avec vous !

Mais je n’irai pas à l’estacade : je préfère rester ici et lire mon livre.

— Tu liras plus tard, Iekaterina. Il faut te promener, profiter de l’air vivifiant. Mens sana in corpore sano.

— Un esprit sain dans un corps sain ; oui, papa.

Fidelio, qui a repéré le mot magique « promener », se met à tourner sur lui-même tel une toupie et à bondir jusqu’à ce que le maître lui intime de modérer ses ardeurs.

Markus prend la laisse – quoiqu’en principe on n’en ait pas besoin –, et sa physionomie s’illumine. Il sent déjà les embruns qui lui fouetteront le visage, le goût salé de la mer aimée, la joie de la présence de parrain et de papa.

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... /...

​

Le lendemain, le jeune homme qui ressemble à Manfred se rend dans le beau quartier calme.

L’immeuble est ancien, tranquille, confortable, à l’image de tous ceux de l’avenue.

Comme il est en avance, il repère les lieux et tourne autour du pâté de maisons.

Une veine d’avoir eu la jugeote de se nipper discret avec costard et cravate !

À neuf heures trois quarts, Quico se décide.

Il sort les clés, néglige l’ascenseur hydraulique et grimpe les deux étages.

L’appart lui paraît rupin sans esbroufe. Classe, quoi.

Living avec canapé trois places et fauteuils en cuir marron, super chambre à coucher. Pourquoi deux plumards et pas un seul grand ? C’est vraiment un drôle de type, son lord ! Salle de bains sensass, tout en marbre noir veiné de blanc. Il y prendrait facile une douche illico, sauf que si le client s’amène, c’est pas le moment.

Y a cuisine avec frigo : lait, bières, œufs, bacon. Du thé Earl Grey dans une boîte jaune et or, une théière et deux tasses de porcelaine fine, des muffins prêts sur la table. Et l’enveloppe.

Y parvient pas à s’empêcher de zieuter.

Le vioque est généreux. De plus en plus.

Et dans le salon, un bar avec du scotch et un litron aux étiquettes en allemand. Quico croyait que ces cocos-là, ça buvait que de la bière.

P'têt' pas de l’allemand, après tout.

Il guette par la fenêtre, s’en écarte au bout d’un quart d’heure. Quand on surveille, ça empêche toujours que les gens arrivent.

Il se verserait bien un verre de pinard, vite fait, mais c’est embêtant d’entamer le flacon.

S’il chopait une mousse, est-ce que ça serait mal élevé ?

Mieux d’chauffer de la flotte. Du thé, ça fera bon genre. Et ça prouvera qu’il l’attend.

Toujours pas de lord, et il est déjà onze heures et demie.

Quico s’est installé dans le canapé Chesterfield.

Il a bu plusieurs tasses de thé à la bergamote et boulotté trois muffins. Maintenant il n’a plus ni faim ni soif. La déception. C’est bête, parce que de toute façon, il a pas perdu sa soirée, voir l’enveloppe.

Fric gagné les doigts dans le nez. Le grand moustachu rappliquera demain ou un autre jour.

Mais il lui manque, son lord. Ses longues mains qui vous étreignent, qui exigent ; sa voix grave avec cet accent chic, et puis son regard.

Des yeux bleus, limpides. Y peut pas être mauvais avec ces yeux-là.

Sous sa galerie glauque, il ne les distinguait pas. Depuis que Lord Smoke-Finch est venu chez lui, le jeune homme les découvre, ces yeux de ciel.

C’est gentil de s’intéresser aux sculptures de Quico. Un type riche comme lui, qui vit dans le luxe ! Les feuilles, les glands, les corbeilles de colombes de Quico, ça vaut pas tripette !

Son lord n’aime pas les caresses ; ni en recevoir, ni en donner. Pourtant il a fait semblant que ça le branchait, les outils de Quico, ses ciseaux, ses gouges à sculpter le bois et ses burins.

À une heure, le beau gars se décide à lever le camp.

Il a pris l’enveloppe.

Il a lavé la théière et la tasse, il a ramassé les miettes de muffins.

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... /...

​

— Pas d’accord, Schatz.

— Mais pourquoi ? Les gosses s’amuseront comme des fous à Finchstone Castle ! Les vacances de Pâques, c’est une occasion rêvée, et pendant qu’ils seront dans le Kent, j’aurai le loisir de travailler ici en toute tranquillité et sans remords !

— Je n’ai pas confiance.

— Pas confiance ? Qu’entends-tu par là, Manfred ?

— Pas confiance en ce drôle de type pour lui abandonner mes deux fils. Iekaterina, cela serait encore admissible ; les garçons, non.

— Que veux-tu insinuer, à la fin ?

En plus, Ute les accompagnerait !

— Hélène, tu m’as fort bien compris.

— Ah, ça ! Pas du tout ! Explique-toi clairement.

— Schön. Des garçons de quatorze et douze ans chez un pédéraste ?

Juste au mauvais âge et sans notre surveillance ?

— Enfin, Manfred, tu es odieux ! Horace n’est attiré ni par les enfants, ni par les adolescents ! Il est homosexuel, pas pédophile !

— C’est ton opinion.

— Non, c’est ma conviction ! Je le connais depuis dix-huit ans !

— Tu ne sais pas tout.

— Son petit ami a trente-cinq ans ! Horace ne fricote pas avec des mineurs !

— Que tu crois.

— La vérité, c’est que tu détestes les homosexuels en général et Smoke-Finch en particulier.

— Exact que je n’apprécie pas ces gens-là.

— Sapristi, Manfred, après ce qui s’est produit pendant la guerre ? Tu oses me parler ainsi ? Et le triangle rose ? As-tu oublié que les nazis ont exterminé des dizaines de milliers d’homosexuels ?

— Je ne réclame pas qu’on les supprime, Schatz, mais simplement que tu n’expédies pas nos jeunes fils chez l’un d’entre eux.

— Pourquoi as-tu accepté qu’Horace soit le parrain de Markus, alors, si tu hais à ce point les homos ?

— Je ne les hais pas, je m’en méfie avec des adolescents. Et j’étais réticent. J’ai accepté pour te satisfaire.

— Dis tout de suite que je mets Markus et Wilhelm en danger en les envoyant quelques jours en Angleterre, et avec leur bonne !

— Je n’ai jamais dit cela, Schatz. Et cela n’a pas été le cas jusqu’ici. Néanmoins, je juge plus prudent de ne pas les lui confier, chez lui, hors de notre présence. Ute est gentille, mais elle n’a pas l’autorité nécessaire.

Si tu réfléchis, tu te rangeras à mon avis.

— Certainement pas ! Tes préjugés sont détestables. Ils rappellent les pages les plus sombres de l’Histoire trop récente de ton pays et de l’Europe.

J’ai confiance en Horace, autant qu’en moi-même.

— Tu as tort, Schatz. Ce type n’a aucune moralité.

Ouvre les yeux. Tu es aveuglée par ton… amitié.

— Nous y voilà ! Tu es jaloux de mon affection pour lui et de celle des enfants !

— Laissons de côté mes sentiments personnels et les tiens aussi, tant que nous y sommes. Soyons objectifs : inutile de lui envoyer Markus et Wilhelm.

Même si, comme tu en es certaine – et comme je le présume volontiers moi-même –, il ne leur causerait aucun préjudice direct, il pourrait exercer sur eux une influence néfaste, y compris de manière involontaire.

— Parce que tu te figures qu’il leur ferait l’apologie de ses préférences sexuelles ou qu’il risquerait de s’afficher devant eux avec son copain ? Cela prouve à quel point tu méconnais Horace !

Tu as l’esprit le plus étroit que j’aie jamais vu, Manfred !

— En effet, j’ai l’esprit étroit, et toi tu as l’esprit très large. Alors adoptons le juste milieu. In medio virtus.

— Qui serait quoi ? L’esprit étriqué ?

Petit-bourgeois borné, bien-pensant et mal agissant ?

Ah, ça, non !

— Calme-toi, weisse Rose.

— Me calmer ? Sapristi ! Que je me calme quand tu attaques l’homme que j’aime le plus au monde après toi ?

— Et ton frère ?

— Ce serait une première, si tu te souciais d’Axel ! Vous vous détestez cordialement.

— Moi, je le déteste cordialement. Lui me déteste tout court, Schatz.

— Je comprends qu’il te déteste : il a été ton prisonnier en quarante et un !

Peu importe ce que tu imagines, Manfred. J’aime Ho comme un frère jumeau, ce qui n’hypothèque en rien mon amour pour toi, pour mes enfants et pour mon véritable frère. Quoique je te concède sans difficulté que je suis une mauvaise épouse et une mauvaise mère.

— C’est faux. Tu es une excellente mère et la femme que je…

— Tais-toi, Manfred, tais-toi.

— Je ne saurais souffrir que tu t’exprimes ainsi.

— Ne te tracasse pas, je parle comme j’en ai envie.

— En réalité, tu es trop vertueuse, Schatz, tu ne vois le négatif que chez toi et pas chez les autres, au contraire de la majorité des gens.

— Pas du tout, Manfred. J’irai donc à Finchstone Castle avec nos gamins et je les protégerai de l’androphile à moustaches en formant un rempart de mon propre corps femelle, s’il le faut.

Es-tu rassuré ou comptes-tu nous interdire le Kent, à moi et à mes enfants ?

— Je ne veux rien t’interdire du tout et tu le sais.

Je croyais que tu projetais de profiter des vacances de Pâques pour écrire et…

— Je ne priverai pas les gosses de ce voyage, puisque tu exiges une présence parentale ! Quand je songe que si tu n’es pas en prison pour meurtre avec préméditation, c’est au témoignage d’Horace que tu le dois…

— Je n’ai pas tué le second violeur, Schatz, je te l’ai déjà affirmé.

​

... /...

​

Plus tard, dans la chapelle, sur l’antique banc de chêne, entre Markus et Téri, Horace observe ses hôtes plus qu’il ne suit la veillée de Noël. Famille de substitution pour un type incapable de s’être construit la sienne.

Téri lui prend la main gentiment.

À côté du petit chou, Hélène, et Manfred, qui consent pour Noël à se rendre à la messe quoiqu’il soit strictement agnostique. Concession à son éducation catholique ou à l’esprit du jour, désir d’accompagner femme et enfants ou mélange des trois. Sa voix chaude et pure de baryton basse entraîne le chant de l’assemblée.

Horace croise les yeux gris et ambre de son amie, qui lui sourit.

Réalise-t-elle ce qu’il y a dans son sourire ?

Qu’elle s’occupe de son mari, plutôt que de le fixer, lui, de cette façon !

Ou se monte-t-il encore la tête pour pas grand-chose ?

Elle l’aime, mais en toute amitié, comme depuis le début de leur longue relation. Et s’il craint d’y trouver plus que cela, c’est parce qu’elle est trop bonne envers lui.

Ou Horace la ferait-il souffrir, au fond ?

Non.

Si elle aime d’amour, ce ne saurait être que Manfred, contre vents et marées, au-delà ou en deçà de la passion morte.

Quelle patience, celui-là !

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Qui est l'assassin du second violeur ?

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 Château de Leeds (Kent)

 

[ photo : Description English: A wide angle view of Leeds Castle in Kent, England.

Photo by DAVID ILIFF. License: CC-BY-SA 3.0

By Diliff (Own work) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0) or GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html)], via Wikimedia Commons]

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