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Entretien avec Ed Nouce
(22 septembre 2019)

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« Oh, oui, l’injustice ! L’injustice qui frappe toutes les femmes de la terre en leur assignant d’emblée et d’office, de par leur sexe, de par leur corps, la tâche de porter un embryon, de le laisser se développer en elle, de le mettre au monde, de le nourrir, de l’élever ! L’homme, lui, il choisit toujours d’être père ou pas ! C’est si facile de concevoir un enfant, vite fait mal fait, ni vu ni connu je t’embrouille ou je te mets en cloque. Souvent ces géniteurs ne sauront même pas, parce que la femme ne leur dira pas, parce qu’elle a honte (c’est le comble) ou qu’elle est trop consciente qu’il ne vaut pas grand-chose ou qu’il refusera de reconnaître le mioche, ou parce qu’il est marié. De toute manière, le père a toujours le choix. Ou quasiment toujours. Et si par après, ça l’embête d’avoir des gosses qui braillent même la nuit, surtout la nuit, qui crient famine, qui réclament un maximum de temps et d’attention, qui coûtent beaucoup d’argent, eh bien, au mieux, il laissera la femme s’en occuper et assumer seule l’écrasante majorité des tâches éducatives ; au pire, il abandonnera le nid à peine édifié, s’en ira voir ailleurs et ne payera même pas la pension alimentaire. »

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Ed Nouce :

— Pourquoi ? Vous trouvez que c’est faux ? Vous êtes un homme, et jeune ; portez-vous ou allez-vous porter un jour un enfant dans votre ventre, et devrez-vous le mettre au monde après neuf mois de grossesse ?

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— Non, naturellement…

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Ed Nouce :

— Voilà. Vous avez répondu parfaitement. « Naturellement », avez-vous dit. C’est exactement cela, le problème.

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— Mais la joie profonde de la maternité, d'un autre côté, n’est-ce pas aussi un privilège ? Un privilège qu'un homme ne connaîtra jamais ? Au lieu de le considérer comme une injustice frappant les femmes, on peut aussi voir ce pouvoir de porter et de mettre au monde, de donner la vie, comme un merveilleux privilège réservé aux femmes, non ?

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Ed Nouce :

— Oui, c’est vrai, naturellement… Néanmoins, vous qui êtes un humain de sexe masculin, en toute franchise, et vu ce privilège naturel réservé aux femmes, si vous aviez pu choisir, vous auriez choisi le deuxième sexe ?

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— Vous me posez une colle, Ed Nouce… J’avoue que je n'y avais jamais réfléchi !

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Ed Nouce :

— Ha, ha ! Et bien, je ne saurais trop vous engager à y réfléchir ! – Mais dans ce prologue, ce n’est pas moi qui parle ! Il ne s’agit pas de ce que je pense ou non sur le sujet. C'est le personnage de Téri Kuhn qui s'exprime, non Ed Nouce. Je ne suis pas Téri, je ne me cache pas sous son masque, pas plus que sous celui d’Hélène le Vaneau, de Manfred, d'Horace, de Lirane, ou de mes autres personnages ! C'est plutôt eux qui me permettent de penser de plusieurs manières différentes, de vivre plusieurs vies, de ressentir avec une palette tellement plus large que celle qu'il m'est donné d'utiliser dans ma propre vie non littéraire. Et j’espère que c'est pareil pour le lecteur. C'est ce que nous aimons aussi dans un roman, non ? Ce merveilleux pouvoir de vivre plusieurs existences grâce à eux, non ?

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— Oui, vous avez raison, et c'est très bien dit. Mais on a tout de même l’impression que c'est le cri du cœur, quand vous faites dire ça à Téri.

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Ed Nouce :

— Mais c'est le cri du cœur ! – De Téri !

Plus loin dans le roman, ne voit-on pas un autre personnage féminin, Lirane, pour ne pas la citer, exprimer un tout autre rapport à la maternité, ô combien plus positif et lumineux ?

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— Oui, Ed Nouce, c'est exact… C'est d’ailleurs un point qui est très frappant dans chacun de vos livres, c'est votre capacité à vous (et donc à nous, du même coup !) placer dans la tête de vos différents héros. Particulièrement des héros masculins aussi, d’ailleurs. C'est sans doute parce que je suis un homme moi-même que cela me frappe tant… Vos portraits psychologiques de Manfred, Markus, Bykov, par exemple, on a du mal à croire que cela n'a pas été écrit par un auteur de sexe masculin… Vous arrivez non seulement à penser, mais à sentir comme un homme, non ?

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Ed Nouce :

— Mais je suis d’abord un être humain ! Chacun a une part de féminité et de masculinité en soi, non ?

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— SI, bien sûr… Vous êtes d’accord avec la théorie du genre ?

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Ed Nouce :

— Entendons-nous sur les mots. S'il ne s'agit pas d'y nier les différences sexuelles ou les caractéristiques biologiques, mais de souligner l'origine sociale et donc arbitraire de l'inégalité entre les sexes dans un grand nombre de cas et de domaines, oui, absolument. Mais s'il s'agit de nier l'altérité sexuelle, ou de refuser que la procréation humaine doive résulter de la rencontre de deux corps différents, à savoir, tout simplement, d'une femme et d'un homme : alors non, définitivement non.

 

— « Fortinbras », comment vous est venue l’idée de donner ce prénom à votre tout jeune héros ?

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Ed Nouce :

— Je cherchais un prénom original, en me mettant dans la peau de sa mère, qui, le lecteur sera d’accord avec moi, est plutôt spéciale. Le bébé ayant vu le jour en Angleterre, j'ai immédiatement et tout bêtement songé à Shakespeare, qui pouvait me servir de réservoir de prénoms exotiques, élégants et baroques à la fois. Comme Markus l’imagine dans le roman, Fortinbras aurait pu s’appeler Horatio, personnage de Shakespeare plus connu que Fortinbras. Mais j'ai pensé que cela ressemblait trop au prénom d'un autre de mes héros, Horace Smoke-Finch, évidemment. Horace, Horatio ? Non, ça n’allait pas ! sauf à la rigueur si le second avait été le fils du premier. Alors Fortinbras s'est imposé, moins connu, très original, et pouvant s’abréger en un Tintin qui fait sobriquet et apporte une touche de légèreté au personnage.

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— Il y a une scène (au moins une ! mais j’ai retenu celle-là en particulier) que je trouve vraiment superbe, car elle m'a scotché, j'ai eu le sentiment d’être reprojeté dans un monde révolu, celui de mon enfance. C'est le chapitre où l'on voit le petit Simon, qui a… trois ans et demi ? C’est ça, je ne commets pas d’erreur ?

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Ed Nouce :

— Non, non, c'est juste, Simon a trois ans et demi.

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— Sa nounou lui permet d'aller tout seul de la cuisine jusqu’au salon de musique, et il doit traverser un long corridor pour y arriver…

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Ed Nouce :

— C'est ça.

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— Vous nous placez alors dans la tête de ce petit gamin, pour qui c'est une vraie « expédition », vous employez ce mot, et il y a une étape près du téléphone, où il essaie de pianoter sur les touches, une autre devant un miroir, où il a peur de voir des ombres ; devant un porte-parapluies décoré de papillons : là il vérifie que les papillons ne se sont pas envolés, et enfin il regarde un tableau qui pour lui, représente un chameau, mais en fait, ce sont seulement des arbres. Dit comme ça, cela semble anodin, mais vous racontez d'une telle manière que l'on pénètre dans un autre univers, comme quand on était gosse… Vous avez puisé dans vos propres souvenirs d’enfance, non ?

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Ed Nouce :

— En partie, vous avez raison. Pour l’histoire du tableau, elle est un des rarissimes éléments de mes romans qui est totalement inspiré de mon propre vécu. C’était une huile du peintre belge Allard l’Olivier, représentant un paysage animé, surtout dominé par deux ou trois peupliers italiens. Mais depuis toute gamine et jusqu’à bien tard dans mon enfance et même au-delà, j'y distinguais très nettement un chameau : les peupliers, donc, dessinaient un chameau parfait, que moi seule je voyais tandis que les adultes ne le percevaient pas le moins du monde…

La fascination pour le téléphone (surtout à une époque où les smartphones n’existaient pas, et où le téléphone fixe trônait quelque part, un peu mystérieux pour un petit enfant, toujours surprenant par sa sonnerie soudaine et intrusive, puis par cet absent qui surgissait soudain par la voix) était par contre très commune à beaucoup d'enfants. Et en 1980, le téléphone arborait déjà non plus un vieux cadran à tourner, mais un clavier à touches numérotées, correspondant à des notes, qui pouvaient effectivement suggérer un piano, surtout pour des gosses qui entendent jouer du piano à longueur de journée, comme c’est le cas des deux petits de mon bouquin, Simon et Fortinbras.

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— Cette scène du téléphone piano, elle a d’ailleurs une signification plus importante qu'on ne le croit au moment où on la lit, mais ça, on ne s'en rend compte que beaucoup, beaucoup plus tard dans le roman…

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Ed Nouce :

— …

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— À côté de ces incursions très réussies dans le monde de la prime enfance, vous n’épargnez pas au lecteur de retrouver parallèlement le monde impitoyable des adultes. Je pense aux sombres pensées d'un Manfred toujours aussi noir et mystérieux, ou aux sentiments de son fils adoptif, Markus, ou encore au général soviétique, le fameux Bykov, dont on ne sait pas trop s’il faut l’aimer ou le détester. C'est, lui aussi, un personnage masculin tout en nuances, et très intéressant. Et la scène de l'ambassade d’Union Soviétique à Londres, elle est presque écrite pour le théâtre !

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Ed Nouce :

— Vous trouvez ? C'est juste qu’elle est très dialoguée, comme beaucoup de chapitres dans mes romans.

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— L’ambassadeur Lunkov est un personnage historique, n’est-ce pas ?

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Ed Nouce :

— Oui.

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— Et il intervient sous son vrai nom…

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Ed Nouce :

— Oui, cela fait partie de ces quelques éléments historiques et documentés qui émaillent presque toujours mes livres et leur donnent, j’espère, une sorte de densité par cette « mise en situation historique ». Lunkov n’est pas un personnage célèbre, ni même simplement un peu connu, pour le grand public comme vous et moi, et cela m’a donc demandé des recherches, y compris sur un site russe officiel (et en russe) pour glaner quelques renseignements précis et exacts sur lui, son physique, et sa carrière.

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— « Sviatoslav Rachter » intervient vers la fin du roman, et on comprend bien que ce personnage est fortement inspiré de Sviatoslav Richter, c’est cousu de fil blanc, si vous me permettez. Pourquoi l’ambassadeur Lunkov intervient-il sous son vrai nom, et par contre, pour le célèbre pianiste russe, avez-vous pris soin de modifier une lettre de son nom ?

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Ed Nouce :

— Vous avez raison, c’est cousu de fil blanc… C'est juste pour qu'on sache bien qu'on est dans un roman, la scène avec Rachter-Richter n'a rien d’historique, évidemment.

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— Et pour cet ambassadeur soviétique, Lunkov, alors ?

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Ed Nouce :

— Dans son cas, la scène me paraissait plus historiquement située, donc je lui ai laissé son véritable patronyme… Un peu comme dans « L’ennemi qui m’aimait », qui, certes, lui, est un roman historique : l'amiral Canaris intervient dans le roman dans des lieux, des décors et avec des détails historiquement exacts. Bien sûr, ses interactions avec mon héros de fiction, Manfred Kuhn, sont inventées, mais conformes, je l’espère, à ce que nous savons du petit amiral. Mais une fois de plus, vous avez raison, ces choix sont assez aléatoires et très arbitraires de ma part…

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— Vos propres héros, en tout cas, sont tellement réalistes qu'on les croit réels. Mais vous confirmez qu'ils ne sont pas inspirés de personnes ayant existé ?

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Ed Nouce :

— Je confirme, je le signe et je le souligne en très gras. Ce sont de pures fictions et seuls de très petits détails les concernant peuvent éventuellement s'inspirer de vraies personnes, mais des détails insignifiants. Qu'il n'y ait pas d’ambiguïté : mes personnages (non historiques) sont totalement fictifs et n’ont aucun rapport avec ma propre vie ou celle de personnes réelles. Je le souligne, parce qu'on me l'a déjà demandé, ou pire : on l'a déjà carrément cru… Figurez-vous que j'ai été contactée peu après la sortie de « Coucou » par une lectrice (inconnue de moi, bien sûr) qui disait être issue d'un viol (comme mon personnage Markus) et avoir des problèmes avec sa mère, comme lui, et cette personne me demandait comment moi, j’avais résolu mes propres problèmes avec cela : elle pensait donc que j’étais issue d'un viol ! Cela m'a à la fois bouleversée et aussi profondément gênée, car j’étais bien mal placée pour donner quelque conseil que ce soit à cette personne. L’histoire que je raconte est un pur roman et n'a RIEN à voir avec ma propre vie, ce n'est pas une autobiographie, ni un témoignage, c'est un pur roman d'imagination ! C'est vrai pour « Coucou », pour ce roman-ci, et pour chacun de mes romans ! Rien de familial ni d’autobiographique !

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— Comme vous l'aviez annoncé dans notre précédent entretien, la musique joue un très beau rôle dans ce roman-ci. Je suppose que l’amour de la musique classique est d’abord le vôtre, n’est-ce pas ?

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Ed Nouce :

— Cela, oui, en effet ! (Mais je ne suis pas pianiste, et aucun virtuose proche de moi, par pitié, chers lecteurs, ne me mettez pas tout ce qui intervient dans mes romans « sur le dos » !)  Mais je vais pourtant vous dévoiler quelque chose de plus me concernant moi en tant qu’auteur, tiens : j’écris souvent en écoutant de la musique classique, et ce roman-ci, en particulier, a été écrit en écoutant principalement du Schumann.

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— Wilhelm, l’autre fils de Manfred ; le vrai fils, par le sang ; nous n’avons pas encore parlé de lui, mais il joue, dans ce roman, un rôle qui n’est sans doute pas l'un des tout premiers, mais qui est important et profond. Un beau rôle. Vous en avez fait un grand acteur qui met fin brutalement à sa carrière pour entrer au séminaire. Mais il a l’air d’avoir une conception de la religion disons : assez spéciale et très moderniste, non ?

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Ed Nouce :

— Oui. En tout cas, il n’est pas du tout moralisateur, c’est sans doute ce que vous voulez dire d’abord, non ?

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— Oui, c’est surtout cela qui m'a marqué…

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Ed Nouce :

— Cela lui posera sûrement encore des problèmes par la suite.

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— Dans vos prochains romans ?

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Ed Nouce :

— Très probable.

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— « Les quatre mains », ce n’est pas un roman d’espionnage, mais il y a tout de même une ombre de mystère et comme un fond d’espionnage qui plane toujours en arrière-plan, ou je me trompe ?

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Ed Nouce :

— Non, vous ne vous trompez pas.

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— Ce sera à suivre dans le prochain roman ? Car on attend qu’il y ait une suite aux « Quatre mains » ! Déjà un scénario ?

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Ed Nouce :

— Oui, il y aura une suite, tout porte à le croire, et j’ai déjà des idées, à mettre en forme.

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— Merci mille fois, Ed Nouce, et rendez-vous à l’occasion de votre septième roman, alors ?

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Ed Nouce :

— Ce sera avec plaisir, et c’est moi qui vous remercie. Vous, et tous mes précieux lecteurs !

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— Ed Nouce, votre nouveau roman : « Les quatre mains de Manfred », vient de sortir il y a quelques jours. C’est la sixième époque de votre suite romanesque La vie nous revient de l’aurore, et une fois encore, vous avez décidé de surprendre le lecteur.

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Ed Nouce :

— Comment cela ? Je n’ai rien décidé de tel ! ☺

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— Mais vous commencez fort, au prologue : une charge féministe en règle. Je vous lis :

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