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Entretien avec Ed Nouce

1er juin 2019

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— Ed Nouce, votre dernier roman, le numéro cinq, est paru en fin d’année dernière (2018). Je pense qu’il y a déjà pas mal d’échos à propos de ce « Fleuve du Dragon noir ». Vous m’avez dit que vous aviez été surprise des réactions de vos lecteurs ?

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En effet ! Heureusement surprise. Du reste, mes lecteurs me surprennent souvent !

    Il y a naturellement ceux qui ont été attirés vers ce roman qui se déroule en grande partie en Russie, par goût personnel pour ce pays et sa culture, et là, leur intérêt était prévisible.  Mais j’ai été étonnée

que le livre semble ratisser plus large, si vous me permettez l’expression, et que même ceux qui n’ont aucun intérêt pour la Russie ou l’Union soviétique l’aient aimé. J’avais un peu peur, aussi, que le début du livre avec la jeune Téri Kuhn donnant un cours magistral de mathématique assez pointu sur le nombre pi, puisse rebuter le lecteur d’entrée. Certain relecteur m’avait d’ailleurs mise en garde quant à ce début, qu’il jugeait trop « exigeant », alors que la suite du roman était, selon ses termes, beaucoup plus « facile ».

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— Et vous n’avez pas écouté le conseil, si je comprends bien ?

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— Si, j’ai écouté avec la plus grande attention ; mais je ne l’ai pas suivi !

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— Pourquoi ?

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— C’est une sorte d’honnêteté intellectuelle vis-à-vis du lecteur. J’ai le sentiment que l’auteur se doit de lui faire confiance et donc d’éviter de s’autocensurer sous le prétexte de se montrer soi-disant plus accessible, plus abordable, plus facile, que sais-je. Au fond, est-ce que cela ne revient pas plutôt à chercher une recette pour faire vendre ? Or, pour moi, un livre n’est pas un produit pour lequel on fait une étude marketing, ou pour lequel on regarde ce qui est à la mode, ou ce que les gens seraient censés attendre. En tout cas, ce n’est pas du tout ainsi que je le conçois. Donc, j’ai gardé mon début tel quel. Et le lecteur a suivi, n’a pas été rebuté, apparemment. Lorsque vous surprenez le lecteur, lui vous surprend généralement en retour, et bien davantage. Le lecteur est intelligent ! Je ne pourrais jamais écrire en le sous-estimant ! J’avais connu une expérience un peu similaire, avec le début du « Chêne rose ». En pire, car là, je sais que certains lecteurs ont été choqués par le premier chapitre qui montre mon héros, Horace Smoke-Finch, déambuler dans un quartier mal famé de Londres à la recherche d’un prostitué. Mais c’était leur droit, comme le mien était peut-être d’écrire ces pages-là au début, ainsi le pire (si je puis dire) n’était pas caché. Et la plupart des lecteurs ont continué le livre, et semblent avoir aimé le personnage de Smoke-Finch, dans sa complexité, avec ses ombres et ses lumières. 

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— « Le Chêne rose » (votre second roman) est un roman plein de délicatesse, et n’a rien de choquant !

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— Peut-être que non, peut-être que si. La vie est choquante, non ? Je trouve quant à moi, que l’assassinat commis par l’un des personnages principaux du « Chêne rose » (je ne dis pas son nom pour ne pas casser le suspense pour ceux qui n’ont pas lu mon « Chêne ») est mille fois plus grave moralement. Mais « choquant », c’est autre chose, certes… – En tout cas, le lecteur a le droit d’en penser ce qu’il veut ; parallèlement, pour moi, l’auteur a le devoir d’écrire ce qu’il a envie d’écrire, sans autocensure. C’est un contrat de confiance tacite avec mon lecteur, je le répète.

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— Parlons de votre prochain roman, le sixième opus. Le titre en est un peu sibyllin, non ? « Les quatre mains de Manfred » : vous pouvez nous en dire plus ?

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— Je ne vais pas vous raconter l’histoire !

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— Non, bien sûr !

    C’est donc un suspense, si je comprends bien ?

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— Il y a un certain suspense, comme dans pas mal de mes livres, mais non, ce n’est pas un suspense au sens strict du terme. Pas du tout. Du moins je ne le crois pas. Je suis très mauvaise, pour parler de mes bouquins !

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— C’est la suite du « Fleuve du Dragon noir » ? Et si on se fie au titre, Manfred, déjà l’un des héros principaux et récurrents de vos romans, va y jouer un rôle très important, peut-être même le premier rôle ?

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— C’est la suite du « Fleuve », oui, et Manfred Kuhn y joue un rôle vraiment très important, mais d’autres personnages aussi.

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— Est-ce que Manfred y retrouve la faculté de parler et de communiquer ?

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— Cela vous tracasse…

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— Absolument !

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— Il faudra lire le roman pour le savoir, je le crains.

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— OK, j’aurais essayé, Ed Nouce !

    Alors, ces « Quatre mains de Manfred » : un roman d’espionnage, en partie au moins, comme votre « Fleuve » et comme votre « 88 », qui ne sont pas que cela, loin de là ?

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— Non, celui-ci n’est pas du tout un roman d’espionnage. C’est une histoire toute simple. Nous sommes au cœur de la vie de tous les jours de la famille Kuhn. En particulier, des enfants très jeunes y jouent des rôles majeurs. L’un, de manière éminente, même.

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— Ce sont de nouveaux personnages, alors, ces enfants ?

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— Ces enfants, oui, nécessairement, ils sont nouveaux, puisque les années passent et les voient naître. (Le roman commence en juillet 1975 et se termine en septembre 1980). Mais la plupart des autres protagonistes seront déjà connus des anciens lecteurs. Et que les nouveaux lecteurs ne s’inquiètent pas : l’histoire se suit tout aussi bien sans avoir lu les précédents tomes. Encore une fois, c’est vraiment une histoire toute simple qui se déroule dans le cercle familial, d’une famille singulière, certes, mais chaque famille ne l’est-elle pas ?

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— C’est un roman intimiste, m’aviez vous dit il y a quelques semaines ?

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— Mais oui, si vous voulez un adjectif « qui fasse bien » ! Un « roman intimiste », voilà ! C’était une sorte de défi pour moi, d’introduire des personnages très jeunes. Certes, déjà dans « Le Chêne rose », encore lui, Markus, Wilhelm et Téri étaient enfants, mais plutôt de jeunes ados. Ici, c’est totalement différent : il s’agira d’enfants beaucoup, beaucoup plus jeunes que cela ! J’ai dû creuser le plus profond possible dans mes propres souvenirs, non pas seulement, non pas surtout externes (l’observation de jeunes enfants côtoyés) mais surtout intérieurs. Et je me suis rappelé que l’enfance n’est pas le paradis perdu si souvent décrit, même quand on a la chance d’en avoir une heureuse et sans problème. C’est une vision adulte, je pense, de voir l’enfance comme ce vert paradis perdu…

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— Donc le thème de l’enfance est l’un des sujets de votre roman, et la psychologie est sûrement très fouillée, comme dans tous vos romans ?

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— Oui, l'enfance est un thème, ainsi que la maternité, désirée ou non, choisie ou par procuration, et la paternité, bien sûr ! Du côté de l’adulte et du côté de l’enfant, pour lequel tout problème devient nécessairement un drame. 

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— Et Manfred, là-dedans ? Il est nettement à l’âge d’être grand-père, non ?

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— Au moins ! Il a soixante-dix ans au début du roman, et près de soixante-quinze à la fin, mais il s’était marié tard… Mais je me rends compte que j’allais oublier de souligner le rôle de la musique dans ce roman. Voilà, c’est fait, tenez-vous-le pour dit : ce sera un rôle primordial.

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—  Ah… Et, puisque « les quatre mains de Manfred » est tout de même la suite du « Fleuve du Dragon noir », retrouvera-t-on le général soviétique, le fameux flamboyant Bykov aux yeux « bleu translucide » ?

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— Oui…

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— Pour les nouveaux lecteurs (et même pour les anciens, d'ailleurs), pouvez-vous nous décrire le personnage de Manfred Kuhn ?

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— En quelques mots, ce n’est pas évident, car depuis le premier roman jusqu’au sixième, j’essaye, sans y être arrivée encore, de cerner ce personnage !

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— N’est-ce pas vous qui l’avez créé ?

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— Oui, bien sûr, mais n’empêche, il m’échappe en grande partie !

   C’est un Allemand, rhénan, colonel de l’Abwehr durant la Seconde guerre mondiale, reconverti en vigneron ensuite, et qui fonde une famille après-guerre, avec une femme qu’il adore et qui est son ancienne ennemie. C’est l’histoire de cette famille que conte ma saga. Manfred est un personnage sombre, ambigu, ambivalent, fermé, froid, secret, avec une grande part d’ombre, peut-être même une tendance au masochisme. Il est encore plus ardu de savoir ce qu’il ressent que ce qu’il pense.  Parfois, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un héros au sens noble, mais à d’autres moments, sans doute plus nombreux, ses actes apparaissent moralement sujets à caution et ses intentions pour le moins contestables… Ce qui est certain, c’est que c’est un personnage complexe, et c’est pour cela qu’il m’intéresse, et continue à m’intéresser au fil des romans.

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— C’est l’un des personnages préférés de beaucoup de vos lecteurs, ai-je entendu dire ?

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— Il faudrait faire un référendum sur la question, car l’immense majorité de mes lecteurs me lit et ne me parle ou ne m'écrit pas ! Peut-on extrapoler sur les commentaires de quelques-uns, si minoritaires ? Ce qui est certain, c’est que pour la première fois, l’un de mes personnages a son nom dans le titre. Et que c’est ce Manfred…

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— Justement, revenons-y, à ces « Quatre mains de Manfred ». Le livre est terminé, si j’ai bien compris ?

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— La rédaction proprement dite, oui ; reste le travail de relecture, toujours exigeant et chronophage. Et aussi le travail de conception de la couverture, du graphiste, etc.

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— Pouvez-vous déjà nous indiquer une date de parution ?

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— Une date précise, non. C’est encore un peu tôt. Mais je pense que le livre pourrait paraître à la rentrée, et à tout le moins encore en cette année 2019.

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— Eh bien, Ed Nouce, on se réjouit de découvrir ces « Quatre mains de Manfred » ! Comme d'habitude, en e-book et en livre broché, je suppose ?

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— Oui, naturellement.

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— Un grand merci d’avoir répondu à mes questions, un peu invasives, je le confesse !

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— Ha, ha ! C’est de bonne guerre, et c’est moi qui vous remercie. En particulier, vous m’avez permis de clarifier mon point de vue sur le rapport au lecteur et sur ma conception de cette relation privilégiée entre l’auteur et le lecteur. Ou mieux : entre le lecteur et les personnages. Le lecteur tient un rôle fondamental… Peut-être le premier. Comme je dis toujours, n’est-ce point par lui que les livres et les personnages qui les hantent acquièrent quelque chose qui se rapproche de la vie ?

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— Au revoir et à très bientôt, Ed Nouce ! Sans doute à la sortie des « Quatre mains de Manfred », alors !

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— Ce sera avec grand plaisir.

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paru en septembre 2019

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